Une étude rapportée par Altares Dun & Bradstreet révèle que les communes à forte criminalité connaissent un essor entrepreneurial. Mais aussi un taux de faillite élevé. Près de la moitié de ces faillites seraient liées à des activités criminelles comme le blanchiment d’argent, la corruption ou la fraude à la faillite.
Les communes bruxelloises en tête du classement
Saint-Josse-ten-Noode arrive en tête. Cette commune compte un nombre remarquable d’entreprises par habitant (16,22 %), ce qui en fait l’une des communes les plus dynamiques de Belgique en termes d’activité. À première vue, cela témoigne d’un esprit d’entreprise et d’une dynamique économique positive. Toutefois, Saint-Josse-ten-Noode affiche également le taux de faillite le plus élevé du pays (1,67 %).
En d’autres termes, c’est là que, proportionnellement, le plus d’entreprises font faillite en Belgique. Cette combinaison frappante entre forte activité et taux de faillite élevé soulève des questions, d’autant plus que près de la moitié (45,84 %) des entreprises en faillite y présentent un lien avec des activités criminelles.
Anderlecht occupe la deuxième place. La commune affiche un taux d’activité de 13,13 % et un taux de faillite de 1,51 %. Un tiers de ces entreprises en faillite (32,45 %) sont liées à la criminalité. Molenbeek-Saint-Jean complète le top 3 avec un taux d’activité de 11,08 %, un taux de faillite de 1,28 %, et une connexion criminelle atteignant les 36,06 % pour les entreprises en faillite.
Le tableau est tout autre dans les villes flamandes. Gand, avec un taux d’activité similaire (14,42 %), présente un taux de faillite trois fois inférieur (0,55 %). À Gand, 21,42 % des faillites sont liées à la criminalité. À Anvers – qui, après Schaerbeek, présente le cinquième taux de faillite le plus élevé du pays (0,96 %) pour un taux d’activité de 14,09 % –, seules 13,6 % des entreprises en faillite sont liées à des activités criminelles.
Il ne s’agit donc pas de fraudeurs occasionnels, mais bien d’une utilisation systématique des structures d’entreprise par le crime organisé
Trois éléments clés
« Nous avons étudié la manière dont les entreprises sont interconnectées via des administrateurs communs et comment elles forment ainsi des clusters », expliquent Thomas Selleslagh, PhD, chercheur indépendant chez Companyweb, et Marie-Laure Vandenhaute, PhD, professeure de comptabilité et d’audit à l’ULB.
« Il en ressort que les faillites ne surviennent pas de manière aléatoire, mais sont concentrées dans certains clusters d’entreprises. Ces clusters comprennent souvent des sociétés liées à des condamnations pénales ; allant de la fraude, à la faillite, au blanchiment d’argent, ou encore à l’implication dans des organisations criminelles. Il ne s’agit donc pas de fraudeurs occasionnels, mais bien d’une utilisation systématique des structures d’entreprise par le crime organisé. »
Outre les condamnations pénales, la recherche met en évidence trois caractéristiques marquantes des entreprises présentes dans ces clusters de faillite:
1. Leur grande mobilité : elles changent fréquemment d’adresse, ce qui laisse penser qu’elles cherchent à se soustraire à la surveillance.
2. Leur manque de transparence financière : ces entreprises publient souvent leurs comptes annuels en retard, voire pas du tout.
3. Un nombre élevé de changements de direction, surtout juste avant la faillite. « Alors qu’un administrateur moyen est impliqué dans deux entreprises, ceux des clusters de faillite en dirigent simultanément huit à dix », précise Thomas Selleslagh.
L’un des plus grands défis mis en lumière par cette recherche est de trouver le bon équilibre : lutter efficacement contre la criminalité économique sans freiner l’entrepreneuriat légitime
Faillites suspectes dans tous les secteurs
Le précédent gouvernement avait instauré la Direction Evaluation de l’Intégrité pour les Pouvoirs Publics (DEIPP) afin de lutter contre les acteurs malhonnêtes, mais cette loi se concentre principalement sur certains secteurs. « Notre étude montre pourtant que les faillites suspectes touchent tous les secteurs », indique Thomas Selleslagh. « Les résultats soulignent la valeur ajoutée d’une approche fondée sur les données, capable de détecter les schémas suspects, quel que soit le secteur concerné. »
« L’un des plus grands défis mis en lumière par cette recherche est de trouver le bon équilibre : lutter efficacement contre la criminalité économique sans freiner l’entrepreneuriat légitime. Comme le démontrent les données, cette problématique est géographiquement concentrée, avec un pourcentage nettement plus élevé de faillites liées au crime dans certaines communes. De plus, nous observons des différences claires entre les entreprises avec ou sans liens criminels. Une approche ciblée tenant compte de ces particularités géographiques et structurelles pourrait accroître l’efficacité des mesures de contrôle », conclut la professeure Vandenhaute.
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