Interview avec Thierry Geerts (CEO de BECI, auteur des livres « Digitalis » et « Homo Digitalis »)
Thierry, dans votre livre « Homo Digitalis », publié en 2021, vous affirmez que la digitalisation et l’IA nous rendent plus humains. Que voulez-vous dire par là ?
« La digitalisation ne consiste pas à remplacer les humains par des machines ou des logiciels, mais à renforcer leurs capacités. Chaque employé dans un cabinet comptable est déjà un homo digitalis doté de « super-pouvoirs ». Si vous leur donnez accès, de manière sûre et contrôlée, à des outils comme Gemini, Copilot ou d’autres solutions d’IA, ils peuvent se concentrer sur ce qui est vraiment important : le conseil stratégique aux clients et l’interaction humaine. C’est l’essence même de mes livres. La technologie peut améliorer notre vie et nous rendre plus humains en assumant les tâches répétitives, libérant ainsi de l’espace pour la créativité et l’empathie. »
L’IA est souvent perçue de manière négative. Quel est votre point de vue à ce sujet ?
« C’est vrai que l’intelligence artificielle fait continuellement l’actualité, mais trop souvent en mettant en avant les risques et les problèmes. Bien sûr, il faut être prudent et utiliser les nouvelles technologies de manière responsable, mais il ne faut pas oublier que l’IA représente aussi une opportunité gigantesque. Dans mon livre « Homo Digitalis », je parle notamment du secteur des soins de santé, où l’IA peut alléger les charges administratives, permettant ainsi aux soignants de consacrer plus de temps aux patients. C’est pareil dans le secteur de la comptabilité : l’IA peut automatiser des tâches chronophages comme la saisie, l’entrée et la comptabilisation des factures. Ainsi, les comptables peuvent se concentrer sur le conseil stratégique. L’IA n’est donc pas une menace, mais une chance de travailler de manière plus intelligente et plus humaine. »
Comment la Belgique se compare-t-elle à d’autres pays en matière de digitalisation ?
« Les Belges sont naturellement un peu plus conservateurs sur ce sujet. Aux Pays-Bas, certaines entreprises sont tellement digitalisées que le contact personnel est parfois perdu. C’est une limite que je préfère ne pas franchir. Je ne crois donc pas en un métavers où tout est virtuel. La force de la digitalisation réside justement dans un monde où la technologie soutient notre vie sans supprimer l’interaction humaine – c’est ce que j’appelle le monde digitalis. »
La digitalisation dans le secteur de la comptabilité semble être un processus de longue haleine. Selon vous, quel est le plus grand défi de ce secteur ?
« Le plus grand défi est la gestion du changement, c’est-à-dire la peur du changement. Ce sujet a également été abordé lors de l’événement Fast Forward de Silverfin. Les cabinets comptables doivent revoir leur manière traditionnelle de travailler. Cela inclut une nouvelle approche de la facturation ou du conseil – mieux, plus large et, oui, peut-être aussi plus cher. C’est parfois déstabilisant, mais nécessaire. De plus, beaucoup de cabinets restent trop concentrés sur la conformité et le conseil fiscal. Bien sûr, l’optimisation fiscale est importante, mais un comptable moderne doit se concentrer sur le conseil stratégique : Comment les entrepreneurs peuvent-ils augmenter leurs bénéfices ? Comment accélérer le paiement des factures ? Quelles sont les éventuelles failles financières qui mettent en danger la continuité d’une entreprise ? Ce sont les questions que les comptables devraient poser. »
Comment l’IA peut-elle transformer le rôle des comptables ?
« L’IA rend le travail des comptables plus intéressant et plus pertinent. Au lieu d’exécuter des tâches manuelles, ils peuvent devenir des conseillers stratégiques. Avec des outils comme les data lakes – des bases de données centralisées qui contiennent de grandes quantités d’informations – et les digital twins – des copies numériques de la réalité – un comptable peut faire des prévisions sur la croissance du chiffre d’affaires, les problèmes de trésorerie ou les prix. C’est le passage d’une vision rétrospective à une approche tournée vers l’avenir. Un comptable moderne utilise des logiciels intelligents et des données pour conseiller ses clients de manière proactive sur leur gestion et leur secteur d’activité. »
Y a-t-il des preuves que la digitalisation ne détruit pas d’emplois dans le secteur ?
« Absolument. Prenons le traitement automatique des factures – c’est déjà bien établi. Pourtant, le métier de comptable reste en pénurie. C’est la meilleure preuve que la digitalisation ne remplace pas les emplois mais ajoute de la valeur. Elle donne aux comptables plus de temps pour se concentrer sur les analyses, les rapports (de gestion) et l’accompagnement des entrepreneurs et indépendants dans des réglementations complexes liées à la fiscalité, la comptabilité et la durabilité. C’est une situation gagnant-gagnant, tant pour les jeunes que pour les employés plus âgés, car chacun peut continuer à se développer professionnellement et à rester impliqué plus longtemps. »